Interview de Barbara Dalibard (LLG 1977)
Par Ludovic Herman, de l’Entreprise Sentimentale (LLG 1987)
Avant d’être présidente du conseil de surveillance de Michelin, Barbara Dalibard fut élève au Lycée Louis-le-Grand pendant 2 ans.
Voici un rapide retour sur l’expérience qui fut la sienne.
Comment êtes-vous arrivée à Louis-le-Grand ? Était-ce votre choix ?
Louis-le-Grand ce n’était ni vraiment mon choix ni celui de mes parents. C’était surtout celui de ma professeure de physique, madame Himbert, dont le fils Marc, futur physicien, était élève au lycée. Et c’est grâce à elle que j'ai eu l'opportunité d'intégrer Louis-le-Grand. Elle était professeure au lycée de filles Victor Hugo, dans le 3e où j’étais élève, et avait pour moi des projets similaires à ceux qu’elle avait pour son fils. Elle a suggéré avec insistance et bienveillance que je rejoigne Louis-le-Grand en terminale. Malheureusement, à cette époque, le lycée n’admettait pas encore les filles en secondaire. J’ai donc intégré Louis-le-Grand en math sup l’année suivante, toujours poussée par mes professeurs de physique et de mathématiques.
Comment vous êtes-vous sentie accueillie ? Quelles furent vos premières impressions ?
À mon arrivée, j’étais dans une classe de seulement six filles sur cinquante élèves et j’étais terrorisée. Ma classe de HX regroupait les meilleurs élèves de terminale de Louis-le-Grand, eux déjà très avancés, en quasi-départ lancé. Je me souviens que le jour de la rentrée le professeur de maths avait posé la question de savoir qui était lauréat du concours général, et là… la moitié de la classe lève la main. Il y avait des prix de maths et physique évidemment, mais aussi de russe, de grec etc.
Ce professeur de mathématiques, que j’ai beaucoup apprécié par la suite, arpentait la classe tous les matins pour vérifier nos cahiers et nous dire que nous ne serions bientôt plus que 35 dans la classe. Et c’est ce qui s’est passé effectivement. Je me suis souvent demandé à ce moment-là ce que je faisais là et si j’allais résister. Ce qui m’a permis de rester, c’est un professeur …de gym, un homme très bienveillant. Il m’a dit : « Barbara, si vous tenez jusqu'à la Toussaint, alors vous tiendrez toute l’année. » Cela m’a donné un objectif à court terme, et j’ai effectivement tenu jusqu’à la Toussaint, puis l’année suivante.
J’étais externe. Il n’y avait pas d’internat sur place pour les filles, et mes amies qui venaient de province étaient logées très loin, à l’internat de la rue Blanche, ce qui ne leur facilitait pas les choses.
En dehors des classes académiques, qu'avez-vous retenu de Louis-le-Grand ?
Le premier enseignement que j’ai tiré de Louis-le-Grand est l’humilité. J’étais plutôt timide à l’époque, et en voyant les talents exceptionnels autour de moi, j’ai compris qu’il y a toujours quelqu'un de meilleur que soi dans chaque domaine. J’y ai aussi appris la résilience. À l'époque, être une fille à LLG n'était pas facile. Nous étions l’objet de comportements inappropriés, sifflements, commentaires sur notre physique lorsque nous passions au tableau, sous le regard silencieux des enseignants.
Je me rappelle aussi qu’un camarade m’a déclaré sans honte qu'il ne comprenait pas pourquoi les filles étaient admises à passer l’X, alors qu'il y avait déjà une compétition intense pour les garçons. Et il n’était pas le seul à le penser.
Ces expériences n’étaient pas simples, mais elles m’ont forgée. J'ai aussi appris le sens du travail et la capacité à aller au fond des choses, à ne pas avoir peur de l’inconnu. Même après des années, cette méthode d’apprentissage rigoureuse, et cette soif d’apprendre me servent encore aujourd'hui, même si je n’utilise que très peu de tout ce que j’ai appris en mathématiques. Alors que j’arrivais à la SNCF dans la cinquantaine, j’étais toujours capable de me plonger dans un article scientifique dans les domaines qui m’intéressaient, de lire dans son intégralité le cours sur la signalisation ferroviaire de l’école des Ponts, etc. Les maths que j’ai poursuivies ensuite ont été aussi une école de rigueur, une école de rapidité.
Qu’aimeriez-vous dire à l’étudiante que vous étiez ?
Je lui dirais : « résiste… » Oui, de résister même lorsque l’environnement n’est pas favorable. J’ai vu beaucoup de jeunes filles craquer et abandonner. Il est important de se fixer des objectifs à court terme et de persévérer. Louis-le-Grand est un lieu extraordinaire où l’on rencontre des personnes extrêmement intéressantes et brillantes dans divers domaines. Chacun à son niveau a des capacités remarquables, et même si les carrières évoluent, les amitiés et les expériences restent précieuses.
Quels professeurs vous ont aidée et marquée ?
Le professeur de mathématiques, Jacques Chevalet, était à la fois très exigeant et bienveillant. Comme je l’ai évoqué il avait réduit la classe de 50 à 35 élèves, mais passé ce cap, il s’intéressait à ses élèves. Même si sa méthode pouvait être sévère, il n’était pas dépréciateur. Je me rappelle son attitude une fois que j’avais vraiment raté une interrogation ; avec beaucoup de bienveillance, il m’avait dit : « alors mademoiselle, mais, qu’est-ce qui vous est arrivé ? », ce qui en creux montrait son soutien.
Je me souviens aussi de Hubert Gié, un grand physicien, qui, même si la physique n’était pas ma matière préférée, avait un talent unique pour rendre la matière vivante et compréhensible, et lui donner du sens.
Il y avait aussi néanmoins des enseignants dont je n’ai pas apprécié les qualités humaines, malgré leurs compétences pédagogiques. Je me souviens de l’un d’entre eux, jeune prof à l’époque, qui ne pouvait pas s'empêcher de commenter la couleur de nos yeux et de notre tenue, à nous les filles, en nous envoyant au tableau.
Quels amis fréquentiez-vous ?
Le rythme était très intense, et nous avions peu de temps pour autre chose que le travail. Cependant, nous trouvions des moments d’échange durant les pauses même si nous ne quittions pas les coursives entre les salles de classe. J’ai aussi gardé des amitiés avec ceux qui ont été à l’École Normale avec moi. J’ai eu dans ma classe à Louis Le Grand des gens qui ont eu des carrières remarquables comme mathématiciens, physiciens, patrons d’entreprise ou même hommes politiques.
Les carrières évoluent, les gens bougent, donc nous ne sommes pas toujours en contact régulier, mais nous nous retrouvons de temps en temps, et ces années restent aussi des années fondatrices d’amitiés qui durent des années.
La sentimentalité à Louis-le-Grand : étiez-vous amoureuse à l’époque du lycée ?
Oui, j’ai rencontré, Jean Dalibard, mon mari, en math sup à Louis-le-Grand. En math spé, il était mon voisin de table et, je copiais souvent sur lui au cours de dessin industriel, matière dans laquelle j’étais absolument inapte, ce qui n’échappait évidemment pas au professeur qui s’en amusait ! Nous avons poursuivi nos études à l’Ecole Normale Supérieure, bien que nos carrières aient pris des directions très différentes lui comme scientifique et moi dans l’industrie (il est membre de l’Académie des sciences et titulaire de la chaire « Atomes et rayonnement » au Collège de France). Il pouvait enchaîner des problèmes pendant toute une journée alors que moi je ne résistais pas au-delà de la sixième heure.
Quels messages souhaiteriez-vous communiquer aux jeunes actuellement à Louis-le-Grand ?
Je leur dirais de profiter pleinement de leurs camarades et de la formation d'excellence que leur offre le lycée. Cette expérience sera fondatrice pour eux, à la fois sur le plan personnel et professionnel.
Que pourrait permettre l’association des anciens élèves du lycée Louis-le-Grand ?
L’association pourrait jouer un rôle important en encourageant la présence des filles dans les domaines scientifiques, qui restent encore et toujours sous-représentées. Il est également crucial d’encourager une plus grande diversité sociale à Louis-le-Grand. Mon mari, par exemple, était l’un des élèves dont les parents n’avaient pas fait de grandes études, mais qui ont été soutenus par leurs professeurs. À l’époque, il y avait une plus grande diversité sociale et géographique qu’aujourd’hui, ce qui est regrettable. Il serait souhaitable de ramener encore plus de diversité pour que Louis-le-Grand ne soit pas uniquement une institution parisienne, mais qu’elle reflète la richesse de la société dans son ensemble.
Actualités
Chargement : 39 ms