Il était une fois LLG ... Diary Sow

AAELLG Diary Sow

 

Il était une fois Louis-le-Grand…

 

Interview de Mme Diary Sow (LLG 2021), par Ludovic Herman de L’Entreprise Sentimentale (LLG 1987).

 

Avant d’être écrivaine chez Robert Laffont et élève-ingénieure à Paris, Diary Sow fut élève au Lycée Louis-le-Grand pendant deux ans en classe préparatoire scientifique. En 2021 sa « disparition » pendant quelques semaines avait fait beaucoup de bruit en France et au Sénégal.  Voici un rapide retour sur l’expérience qui fut la sienne.

 

 

« LLG : Comment faire rimer excellence avec sens ? »

 

 

Comment êtes-vous arrivée à Louis-le-Grand ? Était-ce votre choix ? 

 

Je suis arrivée à plusieurs reprises à LLG ! La première fois, c'était en 2018, lorsque monsieur Jean Bastianelli, proviseur de l'époque, est venu présenter le lycée Louis-le-Grand à notre lycée Scientifique d’Excellence de Diourbel. À cette occasion, il a invité un camarade et moi-même, ainsi que notre professeur de physique, monsieur Diatta, et un de nos professeurs de maths, monsieur Diop, à visiter le lycée parisien en septembre 2018, notre rentrée étant en octobre au Sénégal.

 

Ce fut un séjour mémorable. Nous étions accueillis dans une classe de terminale et cela m'a confortée dans l'idée de rejoindre LLG après le Bac. J’étais aussi encouragée par mon parrain monsieur Serigne Mbaye Thiam alors ministre de l’Éducation qui m’indiquait les avantages d’un passage en prépa à LLG. On a visité le lycée et je me souviens d'un grand labyrinthe avec ses dédales de couloirs, la cour Molière, la cour Victor Hugo, car on changeait de salle à chaque cours alors que nous restions dans la même salle toute l'année au Sénégal. J’ai été très impressionnée par la qualité de l'enseignement et à la fin le proviseur nous a reçus, mon camarade et moi, dans son bureau pour échanger sur nos impressions et nous a invités à postuler pour la classe préparatoire en 2019.

 

Comment vous êtes-vous sentie accueillie ? Quelles furent vos premières impressions ?

 

Je suis arrivée à LLG pour la deuxième fois à la rentrée en maths sup de 2019, ce n’était plus un simple voyage « d’études », mais un départ, un très grand départ. Nous (la poignée d'élèves sénégalais qui avions bénéficié d’une bourse d'excellence), venions étudier ici, habiter ici, vivre ici le temps de nos études supérieures ou peut-être pour toujours. 

 

L’accueil était généreux et amical de la part des élèves que j'avais déjà rencontrés en terminale l'année précédente. Je me souviens en particulier d'Archibald Roulier, qui est venu me voir dès le premier jour et m’a dit : « Tu te rappelles de moi ? On était assis ensemble en terminale.», il me prêtait gentiment ses cours car on arrivait avec quelques jours de retard. C'était très sympathique de retrouver l'atmosphère que j'avais aimée pendant mon séjour en 2018.

 

Dès le début, ce fut très intense, mais je n’étais pas surprise, venant d'un lycée d'élite au Sénégal. J'avais déjà été dans un rythme très soutenu dans mes années de seconde, première et terminale, cependant ce n'était pas tout à fait la même méthode d'enseignement. Nous étions beaucoup plus axés sur la théorie au Sénégal alors qu’à LLG la pratique prenait le pas, les TP occupaient une place très importante. Les premières semaines ont été dévolues à l'adaptation, j’ai été un peu déboussolée au début à cause de toutes les démarches annexes dont il fallait se charger en plus des études (installation dans le logement, restauration, assurances etc.) puis on a très vite pris notre rythme et nos marques.

 

Je me souviens aussi de ma première dissertation de français à LLG. Alors qu’en terminale j’avais toujours été la meilleure en français et en philosophie, là, le professeur, monsieur Morin, m'avait laissé cette appréciation sur ma copie : « Style très agréable, très belle écriture, mais ne correspond pas à une dissertation classique ». J'avais été très étonnée ! C'était différent, une autre façon d'écrire. J'ai dû m’adapter à peu près partout et en français, je me suis très vite épanouie.

 

En dehors de connaissances académiques, qu'avez-vous retenu de « l’école Louis-le-Grand » ?  

 

J’ai retenu une diversité incroyable, je me souviens de Navdeep Singh qui venait d’Inde, elle eut du mal au début et finalement majorerait en TP de physique, je la trouvais très inspirante. Je côtoyais des élèves de vraiment tous les horizons. Une diversité de talents aussi, chacun venant avec ses acquis, ses compétences propres. Quand on était en groupe, on se complétait les uns les autres, moi j'étais douée en calcul, en théorie, les autres pour la pratique, il y avait un véritable travail d’équipe.

 

J’ai retenu la recherche permanente de l’excellence, portée par des professeurs très impliqués et des élèves talentueux. J'avais enchaîné plusieurs années d'efforts soutenus ; peut-être à cause de cela, ou parce qu’il y avait un cran supérieur en termes d'exigences, j'avais l'impression de faire ce qu'il fallait, d'avancer, mais une partie de moi se sentait un peu submergée. Tout allait parfois très vite, tellement vite. Cette quête d'excellence visait UN objectif final : les concours. Entre les colles, les devoirs surveillés, les DM, les interrogations, les travaux pratiques, nous avions la tête dans le guidon, au point d'oublier souvent le reste, comme les amitiés et le monde extérieur, tant nous étions concentrés sur la réussite.

  

Un autre enseignement que j’ai retenu de LLG concerne la volatilité des succès : rien n’était jamais gagné ni perdu. Cela venait du fait que c’étaient rarement les mêmes personnes qui arrivaient en haut du peloton de tête. Ainsi, à chaque épreuve, il y avait toujours des surprises, les jeux n’étaient jamais faits ; j'ai été témoin de nombreux rebondissements. Nous étions constamment confrontés au défi de faire mieux que la fois précédente, et à peine avions-nous assimilé un cours qu'il était déjà temps de le mettre à l'épreuve. Les classements étaient bien sûr permanents et donnaient une idée de sa progression, mais pouvaient aussi entamer son estime de soi.

 

Quels amis fréquentiez-vous ?

 

Je me souviens de plusieurs amitiés qui ont compté pour moi. Pour commencer, Mouhamadou Ba, qui avait été lauréat du concours général un an avant moi, nous a guidés, mes camarades et moi, dès notre arrivée à Paris. C’est lui qui nous a montré les us et coutumes de LLG.

 

Nous étions quelques-uns à bénéficier d’une bourse du gouvernement sénégalais, nous partagions une résidence à Lourcine, Boulevard Port-Royal dans le 13e, et faisions chaque matin les 15 à 20 minutes de trajet à pied qui nous séparaient de LLG ou d'Henri IV… Nous nous croisions dans l’ascenseur, aux arrêts de bus… Nous faisions ensemble une partie du trajet, quelques minutes de conversation sur notre quotidien d’étudiants étrangers. Nous étions forts et émouvants, mais aussi empreints d’une tristesse secrète, mal perçue, mal comprise, souvent niée. Après nos journées d’études, les appels téléphoniques en provenance de notre pays se concluaient par les éternelles formules de réconfort. Les « Yallah Bakhna » (« Dieu est bon ») résonnaient en nous, émergeaient de nos bouches le lendemain pour nous convaincre que ce chemin en valait la peine, que nous étions privilégiés et que notre place n’aurait pas été meilleure ailleurs. 

 

Nous parlions peu, mais nourrissions de grands espoirs. Jetés dans ce monde nouveau, fauchés avant la fin du mois, coincés nuit et jour dans la peau du « taupin », nous étions soudés par nos épreuves communes, par l’obligation de tenir jusqu’à la fin de la prépa, qui nous faisait maudire le temps où chaque bulletin de notes était un trophée. Nous passions l’hiver à nous gaver de pâtes et de maths, en rêvant de soleil et de thé vert à la menthe, en comptant les jours qui nous séparaient de l’école d’ingénieur ; nous attendions impatiemment « l’intégration », ces trois prochaines années de douce oisiveté après le dur labeur des prépas. 

 

En 2019, j’ai beaucoup discuté avec Sébastien Mion de son séjour au Sénégal parce qu'il y était allé, nous échangions quelques mots chaleureux à la cantine et je me souviens du jour où il est passé devant moi sans même me regarder ou me saluer !!! J’étais atterrée…pour découvrir après qu'il s'agissait de son frère jumeau !! Qui donc ne me connaissait pas. 

 

En classe, j’appréciais énormément Manon Cossard, ma binôme en TP de chimie, ainsi que Clara Thomas, dont j’admirais la tranquille modestie. J'étais aussi dans le même groupe de khôlle que Léo Chevalier et Thibaut Boyenval, deux garçons remarquables ; ces moments de camaraderie et de solidarité en dehors des cours créent des liens et des souvenirs, car nous partageons les mêmes galères et révisons ensemble. Je tiens également à mentionner Clara Guillet, déléguée de classe, toujours serviable envers tout le monde, ainsi qu’Agnès Lemaistre et Joséphine Mattatia, toutes deux adorables. Pour finir, l'accueil d'Archibald Roulier m'a marquée, j'ai gardé en mémoire sa chaleur et son sourire. Chacun d'eux a enrichi mon expérience et a contribué à rendre mon passage au lycée LLG mémorable et significatif.

 

 

Quels sont les professeurs qui vous ont aidé, marqué ? Que vous disaient-ils ?

 

Il est clair que M. Kaczmarek, notre professeur de maths, a joué un rôle important dans mon parcours à Louis-le-Grand. C'était notre professeur principal, toujours patient, pédagogue, il a été d'un grand soutien pendant le confinement lié au COVID-19 en 2020. Nous avons connu pendant quelques mois les cours à distance, la révolution dans les méthodes d’enseignement, avec la baisse de motivation pour certains, l’incertitude, l’isolement… Il nous remontait le moral, nous encourageait à tenir bon, nous assurant que cela ne durerait pas éternellement. Nous avions pour lui une affection intarissable et le surnommions affectueusement Kaczmy. 

 

J'aimais beaucoup les cours de Madame Baudry, notre professeur d'espagnol, parce qu'elle était vive et drôle, j’adorais ce presque moment de détente, d'autant plus que j'avais de bons résultats.

 

De plus, la présence de Delphine Geyer, l'une des rares femmes professeures de physique que j'avais rencontrées, a été une source d'admiration secrète pour moi. Elle m’a notamment proposé son aide lors du décès de mon père, survenu en avril 2020, en plein confinement. Pour ma part, je portais ce deuil dans les 11 m² de ma chambre d’étudiante, ruminant douloureusement les interdictions de voyager et les autorisations de sortie restreintes qui m’avaient empêchée d’assister à son enterrement.

 

En janvier 2021, un trop-plein d’insatisfaction dans ma vie personnelle et un sentiment de ras-le-bol m'ont poussée à faire une pause, à couper les ponts et à m’éloigner de Paris, de LLG. Cette rupture a fait beaucoup de bruit en France et au Sénégal, j’ai reçu de nombreux témoignages bienveillants de la part de mes camarades, et bien que tout le monde n'ait pas compris ma décision, certains de mes professeurs m’ont soutenue. Madame Poux, professeur de chimie, avec qui je n'avais pourtant pas de lien particulier avant de quitter LLG, m’a tendu la main à mon retour et a cherché à comprendre ma situation. De même, madame Brutus, proviseur adjoint, a facilité la poursuite de mes études.

 

Monsieur Silva, un de nos colleurs d’anglais, m'a également laissé une forte impression. J'appréciais nos discussions sur la littérature, et j'admirais sa grande culture. Quand je suis partie, il m'a envoyé un message touchant qui m’invitait à revenir.

 

Enfin, je ne peux pas oublier M. Morin, professeur de français philo, dont l'enseignement a laissé une empreinte indélébile sur moi. Un jour, après une heure de khôlle avec lui, il m'avait confié avoir publié plusieurs œuvres littéraires, ce qui m'avait profondément impressionnée.

 

 

Et la sentimentalité à Louis-le Grand ? Étiez-vous amoureuse au lycée ?

 

Il y avait bien un garçon pour qui j’éprouvais des sentiments assez troublants, mais ça n'a jamais abouti à rien, la sentimentalité était reléguée au second plan, du moins en ce qui me concerne. Ma seule préoccupation sentimentale à l'époque était d'écrire des histoires d'amour… entre deux exercices de maths et de physique.

 

C'était ma façon de rêver, même un peu, une forme d'échappatoire face à cette atmosphère devenue assez austère sur le plan sentimental. J'avais mon coin de prédilection à la bibliothèque, un espace assez isolé où j'aimais beaucoup me retirer pour lire, de temps en temps, autre chose que des textes liés à la prépa. Je m’y permettais un brin de rêverie. Cette sentimentalité par l'écriture et la lecture a été une bouffée d'oxygène, une aération pour me sortir du quotidien, qui était évidemment très studieux. 

 

Quels messages souhaiteriez-vous communiquer aux élèves actuellement à Louis-le-Grand ?

 

Je leur dirai de ne jamais cesser d'explorer le monde, de rester ouverts, de refuser d'être enfermés pendant deux ou trois ans. Même si l'objectif en vaut le coup, je leur dirai de ne pas s'oublier.

 

Ne vous perdez pas dans les études, les exercices et les cours. Prenez le temps de rêver, de vivre, d'apprécier chaque instant. Soyez surtout patients, car même si des moments difficiles peuvent survenir, ils sont souvent éphémères. Quand je regarde en arrière, je me rends compte que ce n'était qu'une parenthèse dans ma vie, les notes et les classements ne me définissent pas ; ils sont vite oubliés. Et j'ai réussi en fin de compte à tirer le meilleur de ces années de prépa, qui m'ont beaucoup servie et enrichie.

 

C’est facile à dire après, mais ce serait bien qu’on se le dise aussi avant : le concours n'est pas le seul enjeu de la vie, il y a tant d'autres aspects à explorer, tant de rencontres à faire, tant de sujets à découvrir ! Il est essentiel de ne pas laisser notre existence se réduire à cette seule obsession. Pendant deux longues années, j'ai eu le sentiment d'être emprisonnée par cette idée omniprésente. Le mot "concours" était sur toutes les lèvres, au cœur de toutes les discussions. C'était l'objectif qui dictait mes réveils matinaux et mes nuits de travail.

 

Je ne cracherai jamais sur la culture de l’excellence, elle m'a accompagnée tout au long de ma vie, c'est grâce à elle que j'en suis là aujourd’hui, pourtant je crois fermement que cette culture ne devrait pas nous priver de vivre pour nous-mêmes. Je viens d’un pays où nombre de jeunes filles arrêtent tôt les études, je n’oublie pas la chance qui m’a été offerte, je n’oublie pas la confiance et les espoirs qui ont été placés en moi. Cependant, l'excellence ne devrait pas être poursuivie pour satisfaire les professeurs, les parents ou même le gouvernement. Sinon, comment faire rimer excellence avec sens ? Trouver du sens, ce n’est pas que courir après la gloire ou le classement. Cet enseignement personnel n’est pas inhérent à Louis-le-Grand, ce n’est pas « la faute à la prépa », c'est ce que j’ai ressenti, aussi simplement que ça.

 

 

Que pourrait vous permettre l’association des anciens élèves du lycée Louis-le-Grand ?

 

Peut-être de retrouver des camarades perdus de vue dont l'amitié s’est arrêtée trop tôt. C’est aussi une opportunité d’échange et d’entraide, pour prolonger l’expérience LLG au-delà des murs de l’établissement… Et puis c'est intéressant de rencontrer des anciens qui ont eu des parcours différents. J’espère que si des conférences d’anciens de LLG ont lieu, les élèves auront le temps d'y aller, qu’ils trouveront la force de s'extirper de leur routine studieuse pour découvrir de nouvelles perspectives, je pense que ça les enrichirait énormément. On peut essayer en tout cas !

 

Merci.

 

 
Dernière modification : 25/07/2024