Il était une fois LLG ... Gilles Jacob

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Interview de Gilles Jacob (LLG 1950), ancien Président du festival de Cannes

par Ludovic Herman de L’Entreprise Sentimentale (LLG 1987)

 

« Louis-le-Grand m’a ouvert l’esprit pour la vie, grâce à lui j’ai vécu plusieurs vies (Gilles Jacob) »

 

Avant d’être simultanément critique de cinéma et chef d’entreprise puis écrivain et finalement directeur puis président du festival de Cannes, itinéraire baroque qu’il a raconté dans La vie passera comme un rêve (éditions Robert Laffont),   Gilles Jacob a été lycéen, puis élève en classe préparatoire  littéraire au Lycée Louis-le-Grand. Voici un rapide retour sur l’expérience qui fut la sienne

 

Comment êtes-vous arrivé à Louis-le-Grand ? Était-ce votre choix ? 

 

En 1939, j’ai 9 ans, et je suis élève à Carnot dans le 17ème. Ma famille passe en zone libre où je continue ma scolarité au grand Lycée de Nice.  Puis, pour ne pas être capturé par les nazis, mon frère aîné et moi avons été cachés dans un séminaire catholique en Isère à Miribel-les-Echelles où j’ai poursuivi ma scolarité de la 5ème à la 3ème. 

À la Libération, nous ne retrouvons pas notre appartement du boulevard Haussmann à Paris. La crise du logement fait rage. Alors que mes parents avaient toujours habité sur la rive droite, on nous attribue un logement sur la rive gauche, au 7 rue de Villersexel, métro Bellechasse. J’allais entrer en seconde. Il y avait deux lycées très cotés en lettres pour les littéraires de la rive gauche : Henri IV et …Louis le Grand. J’ai choisi Louis le Grand, car plus proche de notre domicile ! On disait à l’époque le baz Grand (pour bazar !). J’y allais à pied par le boulevard St Germain, la rue de l’École de Médecine et la rue des Écoles, ou l’autobus 84, deux sections, donc deux tickets ! par Sèvres-Babylone.

 

Comment vous êtes-vous senti accueilli ? Quelles furent vos premières impressions ? 

 

J'ai été accueilli comme les autres élèves. J'étais anxieux de voir si j'avais le niveau de l'école publique, moi qui avais fait mes trois dernières années dans le privé au séminaire. En fait, oui. J'étais premier ou second au séminaire et à Louis le Grand dans les meilleurs en français, latin, grec. J'ai adoré. J'ai aimé les lieux, les classes, la plupart des professeurs, je me suis fait des amis. Mon seul hic, une très grande timidité me nuisait à l'oral. Je regrette qu’on ne nous apprenne pas pendant les études à parler en public. Un des raisons de mon échec à Normale Sup.

 

En dehors de connaissances académiques, qu'avez-vous retenu de « l’école Louis-le-Grand » ?  

 

Elle m’a donné l’envie de lire et d’écrire. Encore aujourd’hui je ne peux pas m’endormir si je ne suis pas entouré de livres.  Ce sont ces années de lycée qui m’ont donné l’amour de la littérature. Louis-le-Grand m’a ouvert l’esprit, grâce à lui j’ai vécu plusieurs vies. Contraint pour raisons familiales de renoncer à reconcourir à Normale pour travailler dans l’entreprise paternelle, je n’en ai pas moins tâté de plusieurs métiers sans oublier historien du cinéma…Plus tard, quand j’ai publié mon premier essai Le cinéma moderne (Serdoc,1964) qui a été remarqué, cela m’a incité à persister sur le chemin que Louis-Le-Grand avait inspiré.

 

Justement, quels professeurs vous ont aidé, marqué ?

 

Je suis tombé sur certains maîtres exceptionnels dont je me rappelle les noms, près de 80 ans plus tard, et auxquels je veux rendre hommage. Je leur dois mon « itinéraire d’un enfant gâté » par l’école de la République ! Je pense à M. Billot, en seconde et à MM. Forget, Michelin, Bois, Tersen et Dreyfus le Foyer ensuite. Emmitouflé dans des lainages, yeux grossis par des lunettes à double foyer, M. Billot s'adossait au tableau et, au lieu de faire un cours magistral, nous lisait des textes merveilleux – Paludes d’André Gide, Un certain Plume, d’Henri Michaux, etc… - qui nous incitaient à nous précipiter chez Gibert Jeune pour les acheter et nous inoculaient pour toujours l'amour de la littérature. 

 

Je lui voue une reconnaissance infinie. M. Forget lui aussi, était un personnage magique, corpulent, le plus souvent assis, yeux d'un bleu pâle, abondante chevelure blanche, parlant bas pour capter l’attention  : de fait, on était attaché à ses lèvres et à ses exposés. À l'époque, j’avais pris une grande décision : je serai prof et plus particulièrement prof de lettres ! La vie en a décidé autrement, mais Louis-le-Grand m’a ouvert l’esprit pour la vie, grâce à lui j’en ai vécu plusieurs. 

 

Et quels amis fréquentiez-vous ?

 

Nous sommes d’une génération née autour de 1930 et beaucoup de mes camarades de classe sont décédés. Je suis heureux de leur rendre ici hommage. Je nommerai Michel Flacon, le co-directeur de la revue de cinéma « Raccords » que j’ai fondée avec lui à Louis-le-Grand, mais aussi Claude Chabrol cinéaste, Dominique Fernandez écrivain, Oswald Ducrot linguiste, Jacques Balland ancien président de l’UNEF, André Tubeuf, critique musical, Hubert Grenier et Pierre Chanut, professeurs… 

 

Et la sentimentalité à Louis-le Grand ? Étiez-vous amoureux à l’époque du lycée ?

L’amour physique, c’était zéro, j’avais des amourettes l’été à la plage, mais pas au lycée. 

Il y a une scène dans Tirez sur le pianiste, le film de François Truffaut qui résume bien ma situation. Aznavour marche dans la rue à côté de Marie Dubois dont il est amoureux. Pour se donner du< courage, il compte sur ses doigts jusqu’à 10 le moment où il va opérer un geste révélateur. J’agissais de même mais quand je voulais prendre la main de la jeune personne que j’accompagnais, je ne saisissais que le vide. Je tombais alors amoureux, par écran interposé, de stars du cinéma comme Danielle Darrieux ou Micheline Presle, les plus jolies selon moi ou d’actrices au physique aguicheur comme Viviane Romance, la vamp par excellence.   Faute de les rencontrer, on rédigeait des articles, des articles… J’ai gardé mon premier, celui sur Citizen Kane, trop long pour être publié. 

 

Quels messages souhaiteriez-vous communiquer aux jeunes actuellement à Louis-le-Grand ?

 

Lisez le plus possible, allez au cinéma (même si je ne suis pas objectif). Cela vous ouvrira les yeux sur le monde qui nous entoure. Sans Louis-le-Grand, je n’aurais pas imaginé pour moi des milieux aussi différents du mien que ceux de la littérature et du cinéma auxquels j’appartiens. Ne laissez pas tomber l’orthographe, cela  peut paraitre OK boomer de le suggérer, mais il faut protéger cette espèce menacée. Enfin je dirais : accrochez-vous et si c’est difficile, allez parler à vos professeurs, ils vous veulent du bien. Dans vos moments de détente, cultivez la douceur des choses.

 

Que pourrait vous permettre l’association des anciens élèves du lycée Louis-le Grand ?

 

Ce qui me manque le plus ? La liste exhaustive des professeurs par discipline et par année, ils nous ont beaucoup donné, une liste sur le site les garderait vivants longtemps dans les mémoires des générations successives. 

 

Merci.

 
Dernière modification : 13/01/2024